Théâtre Musical Coulisses
Mademoiselle C. Sculpteur
Texte, musique, décor et mise en scène : Henry DUBOS
Interprétation de Camille, Paul, Auguste et Claude : Élisabeth TOUCHARD
Violoncelle : Birgit YEW ou Delphine MOREL
Ou guitare : Henry DUBOS
Nous sommes le 10 mars 1913, Camille est seule dans son atelier. Elle se prépare à modeler le buste de son père décédé il y a huit jours. Sa mère et son frère ont attendu cette disparition pour signer l'ordre d'internement . Autour d'elle des sculptures décors représentent Auguste Rodin, Claude Debussy, sa mère, son frère. Elle monologue, règle ses comptes. Des coups sont frappés à la porte...
Ce qui les a le plus gêné Camille ce sont tes regards, tes répliques à leur pensée mâle, mais ils transformeront tout : ton langage simple et direct deviendra ordurier et insolent, tes réponses de femme : des perfidies de sorcière, ton intransigeance : un caractère de vieille fille aigrie, ton insolence : de la rébellion, ta liberté : une atteinte aux droits des hommes…Tout cela est en toi et malgré toi, contre toi. Car cette société à laquelle tu rêves n'est pas encore… Et celle qui est en place veut se débarrasser de toi.
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Photos de Sophie BOHEM
Mademoiselle C. au Château d'Ételan 21 mai 2017
D'Elisabeth à Camille par Simone ARÉSE
Qu'a ressenti la comédienne, quand le camion de leur matériel théâtral roulant sur la chaîne - plus symbolique qu'efficace - barrant la longue allée menant au château ? Etait-elle encore Elisabeth Touchard, assise auprès de son compère Henry Dubos, ou, sensible au symbole, était-elle déjà Camille Claudel dans les chaînes mentales de l'internement menaçant sa dernière heure de liberté ?
A quel moment exact a lieu ce dédoublement d'une personne en personnage ? Je n'ai osé la question, qui me serait apparue comme le viol d'une intimité.
L'heure n'était d'ailleurs pas au bavardage, mais à la manutention. Le spectacle aurait lieu à l'étage, entre ces beaux murs de brique nue, plus conformes au drame à venir que le salon du rez-de-chaussée, encombré du piano, des tapis profonds, tentures fleuries, fauteuils aux grâces anciennes, bouquets fraîchement cueillis : tout ce fourmillement d'objets d'un lieu habité par une famille heureuse.
Le décor fut donc planté, rideaux éteignant la lumière printanière en même temps que l'avenir de Camille, sacs d'argile, du même rouge que la brique, bac d'eau lustrale, tubes de carton stylisant Rodin, Debussy, et les indignes mère et frère de l'artiste, muselée d'être née un siècle trop tôt. Le père, seul à l'avoir défendue, était mort depuis cinq jours.
Peut-être fut-ce au moment de boutonner sa blouse maculée qu'Elisabeth est devenue Camille ? Ou en bandant son pied blessé — symboliquement blessé puisqu'on allait définitivement entraver la marche, l'art de celle qui serait internée dans une heure, jusqu'à sa mort, quarante-trois ans plus tard ? A moins que ce ne soit le geste de sculpter qui suscita le basculement nécessaire ? De faire renaître sous ses doigts le visage du père aimant, tandis que le public, timidement, se posait sur les sièges installés en demi-cercle, tel une ébauche
d'arène ?
Tout était en place pour le drame. Il ne manquait que le verbe. Il vint, car, tel le menuisier Geppetto dotant de parole « une simple bûche prise dans le tas de bois à brûler, de celles que l’on met en hiver, dans le poêle ou dans la cheminée pour allumer un feu ou réchauffer les chambres », Henry avait écrit un bouleversant monologue pour sa partenaire, dont il bercerait la douloureuse transmutation d’une guitare discrète.
Alors Elisabeth fut véritablement Camille, torche brûlante devenant cendre, taureau massacré dans l’arène…
Simone Arèse
22 mai 2017
Photos de Yves RICHARD